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26 janvier 2020 : Commémoration à Lyon du 75°anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz –Birkenau

Discours de M. Jean-Claude Nerson, président de l’Amicale des anciens déportés d’Auschwitz Birkenau et des camps de Haute Silésie, vice-président de l’association pour l’édification d’un mémorial de la Shoah à Lyon.

« Monsieur le Préfet de la région Auvergne Rhône Alpes, Préfet du Rhône
Monsieur le Ministre d’Etat, Maire de Lyon,
Monsieur le Président de la Métropole de Lyon
Monsieur l’Adjoint à la Mémoire, au Patrimoine et aux Anciens Combattants, Cher Jean-Dominique Durand,
Monsieur le Président honoraire de l’Amicale d’Auschwitz-Birkenau, Cher Benjamin Orenstein,
Monsieur le Président de l’Association pour l’édification d’un mémorial de la Shoah à Lyon, Cher Jean-Olivier Viout,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Maires et Adjoints d’Arrondissements
Monsieur le Gouverneur Militaire de la Ville de Lyon,
Mesdames et Messieurs les Consuls Généraux
Mesdames et Messieurs les Représentants des Autorités civiles et religieuses.
Mesdames et Messieurs les Représentants des Associations,
Mesdames et Messieurs, et pour nombre d’entre vous
Chers Amis,

Cela fera 75 ans demain que les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Haute Silésie, ont été libérés.

Mais il y a 75 ans aujourd’hui, que se passait-il dans le camp de Birkenau, où quelques milliers de détenus, hagards, déguenillés, errants dans un paysage cauchemardesque, foulant une neige glacée, s’accrochaient à un souffle de vie pour pouvoir un jour témoigner.

Ils se serraient les uns contre les autres, ou se tenaient seul, sans bouger, transis de froid, tenaillés par une faim qu’il est difficile de décrire et par-dessus tout mourrant littéralement de soif.

Imaginez ces fantômes, ces spectres émergeant de la brume, ces déchets ’Humanité, laissés par les S/S comme des ordures abandonnées car inutilisables.

Imaginez l’immensité de Birkenau, le son des canons et des armes lourdes qui déchiraient l’opaque silence d’un enfer ouaté.

Rappelons-nous ce poème de Victor Hugo l’EXPIATION où il décrit ainsi la déroute de la Grande Armée :

« On n’avait plus de pain et on allait pieds nus
C’était un rêve errant dans la brume, un mystère
Une procession d’ombres sous le ciel noir
La solitude vaste, épouvantable à voir.
Chacun se sentant mourir, on était seul. »

Imaginez l’angoisse de ces êtres, ils n’étaient plus rien, et pourtant, ils étaient.

Nous sommes réunis ce matin pour nous souvenir de ces êtres humains que l’idéologie nazie avait voulu rayer de la face du Monde.

6 millions d’individus, Juifs, c’était là leur seul crime, ont payé de leur vie le fait d’avoir été. Il en est de même de quelques 220000 Tziganes.

27 Janvier 1945, depuis l’automne 1942, ici à Birkenau, un crime sans précédent dans l’Histoire était perpétré sans aucune réaction de la part des Nations, qui pourtant savaient !!

Auschwitz-Birkenau, usine du crime où l’extermination était pratiquée de façon industrielle.

Auschwitz-Birkenau, usine de la mort, où les détenus étaient privés de leur identité, réduits à un numéro.

Auschwitz-Birkenau, 27 Janvier 1945, les soldats soviétiques marchant sur Berlin découvrent par hasard, stupéfaits, l’ampleur de la barbarie nazie.

Auschwitz-Birkenau, ils restent 7000 détenus en haillons, malades mourants, livrés à eux –mêmes, revenus au stade animal.

Malgré la révélation de l’horreur, la découverte fortuite des camps de Hte Silésie, la prise en charge des prisonniers ne sera pas un objectif militaire.

Pour les Alliés ces Camps ne sont pas une priorité, la seule urgence c’est la marche forcée pour être les premiers à Berlin.

On se souvient ce matin de la libération des camps, mais était-ce réellement une libération, cette entrée sans combat dans un espace peuplé de zombies ?

Il ne reste que des ruines des crématoires et des chambres à gaz.

Il ne reste que des ruines humaines, la semaine dernière 63000 détenus ont été conduits en des files interminables vers d’autres destinations où le Reich a besoin rapidement d’une main d’œuvre pour continuer la guerre.

Quelques 700 ont été exécutés à la hâte, jugés trop faibles, ils risquaient de ralentir la marche. 7000 sont restés, considérés dans un état tel qu’ils ne méritent pas de gâcher une balle pour les achever, ce ne sera qu’uns question de jours. Ce sont ces abandonnés, ces laissez pour compte, qui accueillirent les premiers soldats soviétiques.

Ce long préambule pour décrire la vision d’horreur de ce 27 Janvier et surtout, pour nous demander : cela pourrait t-il se reproduire ?

L’antisémitisme, que l’on croyait n’être que le pire souvenir de l’Histoire, l’antisémitisme est à nouveau le grand sujet du 21ème siècle.

L’antisémitisme d’aujourd’hui est différent, il a plusieurs visages. Ces visages se côtoient sans vergogne, dans des manifestations de rues, le vieil antisémitisme d’extrême droite, en nette régression jusqu’alors, renaît de ses cendres, et l’on voit depuis quelques années, s’exprimer un nouvel antisémitisme, souvent derrière le masque d’antisionisme, provenant d’une extrême gauche dont la parole est libérée.
Cette extrême gauche profite d’un climat délétère, pour faire émerger, à partir d’un conflit qui ne la concerne pas, des sentiments anti-juifs qui ramènent la haine au premier plan des préoccupations des Français Juifs.

C’est la peur au ventre que beaucoup d’entre nous se déplacent dans leur quartier, c’est la peur au ventre que des familles entières, françaises depuis des générations, quittent le pays pour émigrer vers l’inconnu, abandonnant leurs racines nourries de tolérance, de culture et d’intégration dans un terreau qu’elles ont contribué à constituer.

Je ne réciterai pas ce matin, la longue liste de crimes antisémites qui ont émaillés l’actualité de ces dernières années, je rappellerai seulement le peu de sévérité vis-à-vis d’odieux criminels, je rappellerai seulement que des assassins sont blanchis pour des crimes antisémites, sous le seul prétexte du manque de discernement dû à l’addiction à la drogue.

Il n’y avait pas manque de discernement lorsqu’avant de passer à l’acte criminel, ces mêmes assassins explicitaient leur crime par des propos qui auraient dû leur valoir une condamnation exemplaire.

On a souvent entendu, après la découverte des camps d’extermination « plus jamais ça », mais 75 ans plus tard, cet antisémitisme que le Président Macron a défini comme le déshonneur de la France, n’a jamais été aussi virulent.

A ce stade de mon intervention, je dois répéter, haut et fort, les Français ne sont pas antisémites, beaucoup l’ont prouvé pendant la dernière guerre, en ayant eu une attitude héroïque devant l’occupant.

Mais « Esprit de la Résistance », où es-tu aujourd’hui ? De nouvelles idéologies ont fait souffler dans notre vieux pays un vent nauséabond que n’a pas réussi à juguler un monde politique indifférent qui ne veut surtout pas heurter un électorat potentiel.
Je suis obligé, une nouvelle fois, de voir des similitudes avec l’Allemagne d’avant guerre et la montée de l’antisémitisme sans aucune réaction des élites politiques qui y voyaient un moyen de fédérer un peuple qui avait besoin d’un bouc émissaire pour justifier la misère, le chômage et la difficulté de vivre.

75 ans après Auschwitz, nous n’avons pas su tirer la leçon de l’Histoire et ce ne sont pas les quelques survivants rescapés de l’enfer concentrationnaire qui pourront lutter efficacement contre la désinformation, la relativisation et l’oubli qui se frayent chaque jour un chemin plus large dans notre civilisation.

75 ans après Auschwitz, des partis que l’on dit populistes, reprennent en Allemagne, un rôle, que l’on ne pensait jamais voir renaître.

De plus en plus de voix issues de ces partis, suggèrent de débarrasser l’Allemagne de sa culpabilité en essayant de transformer les victimes en leur faisant endosser une part de responsabilité dans leur persécution.

Les victimes deviendraient en quelque sorte leurs propres bourreaux et plaideraient coupables pour des crimes sans savoir de quels crimes elles seraient coupables.
Le grand écrivain tchèque, Kafka, aurait pu mettre en mots une telle situation.
Dans notre pays, berceau des droits de l’Homme, où les Juifs, depuis le 1er siècle, ont été associés à la création de la France comme Etat Nation, l’approche est différente, mais le danger n’en est pas moins réel.

Lorsqu’un leader politique explique la défaite de la gauche en Grande Bretagne, par l’influence des Juifs, lorsque les attaques à caractère antisémites sont minorées par la justice et transformées souvent en actes relevant de la psychiatrie, nos concitoyens juifs sont en droit de croire voir renaître de ses cendres « la bête immonde » dont parlait Berthold Brecht.

Des faits divers qui font quelques brèves des journaux télévisés nous parviennent du Monde entier, attentats antisémites en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Europe du Nord, en Belgique, je ne citerai pas tous les pays concernés, la liste en serait trop longue, je voudrai simplement vous faire remarquer combien ces événements sont préoccupants et peuvent être les signes avant coureurs de situations semblables à celles qui ont facilité la création de camps comme ceux dont nous commémorons la libération aujourd’hui.

Trois générations se sont écoulées et j’ai l’impression que le terrible scénario mis en place à la conférence de Wannsee, se retrouve d’actualité.

Le peuple juif, frappé comme l’écrit l’historien André Taguieff de la « Haine la plus longue de l’Humanité », ne peut se résoudre à voir ainsi l’histoire bégayer.

« Je voudrais me taire, seulement en me taisant, je mens, » écrivait au sujet de la Shoah, le poète polonais Jerzy Ficowski.

C’est pour cela que je ne puis me résoudre à me taire, ce serait faire une nouvelle offense à la mémoire de tous ceux qui, en ce mois de janvier 1945, voyaient pour la première fois un soupçon de clarté surgir dans la noirceur de leur horizon.

Les survivants qui sont encore parmi nous, Cher Benjamin Orenstein, Cher Claude Bloch, ne me pardonneraient pas si je ne martelais pas, avec obstination, au risque de me répéter, les vérités qui ne sont pas toujours bonnes à dire.

Le fanatisme, de quelques côté qu’il vienne, menace notre civilisation et il ne faut pas être dupe de déclarations apaisantes et se cacher derrière un discours compassionnel, il faut agir avec fermeté lorsque les circonstances l’exigent.

Afin que de tels faits ne se reproduisent plus, il faut consolider l’avenir de notre civilisation avec deux piliers.

Le premier est celui du souvenir, des commémorations, qui permettent aux nouvelles générations de connaître le passé et de s’en inspirer pour construire leur avenir. A ce propos, je tiens à remercier une nouvelle fois, la Ville de Lyon, son Adjoint au Patrimoine aux Anciens combattants et à la Mémoire, Jean-Dominique Durand et Monsieur le Procureur Général Honoraire, Jean-Olivier Viout, pour l’aide précieuse qu’ils nous apportent pour la réalisation du Monument à la Shoah de Lyon.

Le deuxième pilier, ce n’est pas le moins important, est celui de la fermeté. Il faut que les pouvoirs publics soient forts pour ne rien accepter de ceux qui veulent, par tous les moyens, saper les bases mêmes de notre démocratie.

L’espoir, car il y a un espoir, l’espoir réside dans la volonté affirmée par les quarante chefs d’états ou de gouvernements réunis en Israël mercredi dernier.

Volonté, exprimée par le Président Poutine, de réunir les cinq Membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies pour imposer un droit international relatif à l’antisémitisme.
Car, comme l’a dit le Président Macron « l’antisémitisme ressurgit aujourd’hui violent et brutal ». Il a ajouté : « N’oublie jamais. Ce serment, au cœur du judaïsme, la République en a fait le sien. Elle a gravé la Shoah dans le marbre de ses lois ».

C’est pour le graver dans nos mémoires qu’une cérémonie comme celle d’aujourd’hui, prend toute son importance et, au nom de l’Amicale d’Auschwitz, je vous remercie d’y participer.

N’oublions Jamais !!!!!!! »

camp

Jean-Claude Nerson

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