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Allocution de M. Jean-Claude Nerson,  Président de l’amicale des anciens déportés d’Auschwitz-Birkenau et des Camps de Haute Silésie - Vice-président de l’association pour l’édification d’un mémorial de la Shoah à Lyon.

Comme chaque année, nous sommes réunis pour célébrer un anniversaire, anniversaire qui fut, pour beaucoup, celui d’une libération, pour d’autres celui d’une révélation.

Libération, en ce 27 janvier 1945, des camps de Haute Silésie, libération d’Auschwitz-Birkenau, libération d’êtres humains réduits à néant par un Etat assassin.

Révélation de l’horreur absolue, étalée aux yeux des soldats de l’Armée Rouge, incrédules.

Révélation d’un monde où l’Homme, réduit à son ombre, forme avec ses semblables une armée de spectres immobiles, immobiles mais inquiétants, immobiles mais accusateurs avec leurs yeux exorbités.

1.000.000 avaient été assassinés, tous les moyens étaient bons pour que le rendement soit le meilleur possible.

On assassinait les bébés, les enfants, les adultes, les vieillards, ces victimes été exécutées avec la même logique criminelle qui prédominait depuis l’avènement des nazis au pouvoir, ces victimes ne sont pas mortes pour ce qu’elles avaient fait, mais pour ce qu’elles étaient.

La société allemande avait laissé faire et n’avait pas arrêter les mouvements liberticides lorsqu’ils étaient à la porte du pouvoir, les dirigeants allemands avaient permis l’éclosion du nazisme et n’avaient rien fait pour en stopper le développement, trop attachés qu’ils étaient, à leurs prébendes.

C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, vous qui avez quelques pouvoirs dans vos cercles respectifs, je vous demande solennellement mais fermement, de ne plus accepter, sous prétexte de clientélisme, les moindres entorses aux libertés.

Les Juifs font partie de la Nation française depuis sa création, ils sont fiers d’être français et cette fierté leur permet de se faire les porte-parole de ceux qui ne veulent plus entendre la longue liste des victimes au nom d’une idéologie.

Primo Levy disait « Je suis Juif parce que le sort a voulu que je naisse juif. Je ne m’en glorifie pas. C’est mon identité et je dois le préciser, je n’ai pas l’intention d’y renoncer »

C’est une simple constatation d’un fait avéré, constatation que je prends à mon compte pour vous montrer combien mes coreligionnaires étaient pris dans le piège de leur naissance.

Plus d’1.400.000 personnes avaient étés détenues à Auschwitz-Birkenau. En cette journée glaciale du 27 janvier 1945, le thermomètre était descendu à -25°, ils n’étaient plus que 7000 dont la mort n’avait pas voulu.

Ils étaient 7000 abandonnés, car trop faibles pour participer au grand départ, à ces interminables marches de la mort.

Les nazis avaient rassemblé tous ceux qui pouvaient encore, dans un long convoi misérable, quitter le camp.

Il ne fallait pas laisser de traces de leurs forfaits, chambres à gaz, crématoires, tout avait été dynamité, il ne restait plus que ces 7000, mais leur vie ne tenant qu’à un fil, l’Etat Major pensait qu’aucun ne pourrait survivre plus d’un ou deux jours.

La volonté, le sort, en a décidé autrement, ils étaient encore 7000 à être les témoins chancelants du génocide.

Ceux qui partaient, vêtus de hardes rassemblées à la hâte, une mince couverture jetée sur leurs épaules décharnées, les pieds ensanglantés par des gerçures douloureuses, souvent recouverts de papier provenant de sacs de ciment qui creusait encore les blessures.

Ceux qui partaient avaient promis que, si un seul survivait, il devrait crier à la face du Monde ce qui s’était passé ici, il ne devrait avoir aucune relâche pour ne pas que tous ces morts sans sépultures, soient oubliés.

Ces promesses, beaucoup n’ont pas pu les tenir, morts exténués ou exécutés pendant ces marches où périrent des dizaines de milliers de déportés, tant par l’extrême fatigue, que par les exécutions sommaires.

Les corps des malheureux étaient laissés sur place, dans la neige, rapidement dépouillés des quelques lambeaux de vêtements par ceux qui les suivaient, la survie de quelques-uns était à ce prix.

Survivre, il fallait une volonté exceptionnelle, une chance hors du commun, pour ne pas se laisser aller au désespoir. Il était facile de mourir pour tout oublier.

Mais il fallait survivre pour raconter au monde l’inénarrable.

C’est à travers les témoignages des quelques rescapés de l’horreur, qu’aujourd’hui encore, nous qui sommes devenus les transmetteurs de la Mémoire, nous nous réunissons chaque année en ce lieu dédié à la Résistance lyonnaise et au souvenir des camps d’extermination.

J’étais, il y a deux mois, sur les lieux même du crime, à Auschwitz-Birkenau, l’endroit n’a rien perdu de son atmosphère lugubre, les traces du passé sont partout et, si nous voulons bien tendre l’oreille, les cris des suppliciés sont encore audibles.

189 personnes étaient avec moi, foulant aux pieds les allées du plus grand cimetière juif au monde, beaucoup de jeunes étaient présents, collégiens ou lycéens, déconcertés par la réalité tangible de faits qui n’avaient été que relatés par des livres.
Il fallait leur répéter ce chiffre inimaginable, 1.000.000 de Juifs partis en fumée par les cheminées des crématoires dont seuls subsistent les ruines.

Combien de destins prestigieux ont été interrompus ici, combien d’Albert Einstein, de Sigmund Freud ou d’Elie Wiesel, combien de prix Nobel qui seraient venus allonger la liste des quelques 200 Nobel d’origine juive ?

Ces questions, je me les pose souvent.

Le peuple juif a apporté au Monde le monothéisme, les dix commandements, texte fondateur de la déclaration des droits de l’homme, mais surtout une participation essentielle, sans commune mesure avec son importance numérique, à l’avancée de notre civilisation.

C’est peut-être pour ces raisons, qui heurtent les dictatures, que ce petit nombre d’individus est la cible privilégiée, depuis la nuit des temps, de toutes les attaques.

Le traumatisme de la Shoah, à la révélation du génocide, a été tel, que la libération des camps n’a pas suscité de réelles prises de conscience des populations, il fallait tourner la page, revivre enfin.

Une France résistante était voulue pour un imaginaire récit national, les déportés français rescapés, revinrent dans une certaine indifférence.

Ceux qui étaient morts assassinés furent considérés par le Pouvoir comme des morts pour la France sans cérémonie patriotique dédiée.

Et pourtant, ils n’étaient pas morts glorieusement au champ d’honneur, ils n’étaient pas morts les armes à la main, ils n’étaient pas morts pour défendre cette France qu’ils aimaient tant.

Ils étaient morts pour rien, pour leur seule naissance, quel que soit leur âge, leur sexe où leur situation sociale, ils devaient mourir parce qu’ils étaient Juifs

Pour eux, pour tous ces martyres, nous devons constater que notre situation présente est devenue, depuis quelques années, à nouveau fort préoccupante.

N’oublions jamais que ce qui avait engendré un tel massacre, c’était l’antisémitisme ordinaire, véhiculé par des foules incultes dans le cerveau desquelles des Politiciens machiavéliques avaient instillé le germe de la haine.

N’oublions jamais que l’antisémitisme, lorsqu’il est arrivé à ses fins, ne connaît plus de limites, il dépasse la communauté juive, il menace l’équilibre du Monde, il menace les Démocraties.

Toutes les causes sont bonnes à son essor, il chevauche allégrement toutes les crises, qu’elles soient sociales, de santé publique, économiques, politiques et même celles, qui au sein même de notre Europe, menacent la paix mondiale.

N’avez-vous pas entendu ce récit infâmant selon lequel les Juifs auraient profité de la pandémie de Covid pour s’enrichir ?

N’avez-vous pas été choqué d’avoir vu des foules en délire, pour fêter la victoire du Maroc, en coupe du monde de football, brûler des drapeaux israéliens ?

N’avez-vous pas été surpris d’entendre de la bouche des Russes envahissant l’Ukraine, que c’était pour combattre l’antisémitisme et que les Russes étaient devenus les nouveaux Juifs ?

N’êtes-vous pas révoltés lorsque vous entendez le qualificatif de déporté employé pour des individus qui ont le terrorisme pour support, les déportés juifs étaient des victimes, méfiez-vous des amalgames honteux.

Ces mêmes terroristes qui viennent encore de perpétrer un abominable attentat devant une synagogue à Jérusalem, c’est leur façon de commémorer la journée internationale dédiée aux victimes de la Shoah.

Dans le Monde, depuis quelques années les assassinats contre des civils juifs innocents se multiplient, ils sont le fait des amis de ces individus que l’on reçoit avec beaucoup d’égards.

Nous ne devons plus tolérer l’intolérable !!!!!

Même les manifestations contre le changement climatique sont prétextes à des slogans anti israéliens.

Si ce ne sont les Juifs qui sont responsables, c’est le sionisme, apparenté sans doute au nazisme par sa terminaison phonétique, il faut vous rendre à l’évidence, tel le Phénix, l’antisémitisme renaît de ses cendres en revêtant des habits nouveaux retaillés au gré des circonstances.

Cela ne se réduit plus à quelques interventions de groupuscules d’extrême droite, dangereux certes, mais bien connus des services de police et canalisés dés leurs premières velléités de nuire, cela s’étend à d’autres idéologies, beaucoup plus dangereuses qui se propagent comme un nénuphar sur un étang, dans nos banlieues d’où les Français de confession juive sont obligés de partir.

Ces vérités sont occultées par le déni qui devient un pieux mensonge qui favorise le politiquement correct.

Je ne sais s’il n’est pas trop tard pour désamorcer la bombe qui se trouve allumée sous notre société occidentale, elle a pléthore d’artificiers prêts à mettre en route son mécanisme destructeur.

Pour avoir pris la relève de grands anciens, de Simone Lagrange à notre cher Benjamin Orenstein, pour la mémoire de tous nos martyres, je me dois d’être aux avants postes de ceux qui se battent pour que cette bombe face long feu.

Au risque de déplaire, voire de choquer, je demande aux décideurs de ne rien tolérer, de ne rien accepter au nom de je ne sais quel reconstruction, qui mettrait notre civilisation en péril.

On ne peut tenir différents langages suivant le public à qui l’on s’adresse.

Je ne suis pas venu en ce lieu dédié à la Résistance, je ne suis pas venu ici jouer les Cassandre, je suis venu dessiller certains yeux qui ne veulent pas se rendre compte des réalités

Il y a quelques 80 ans, Winston Churchill déplorait déjà « l’incapacité avérée d’apprendre qui caractérise l’Humanité », il regrettait amèrement « le manque de prévoyance, le refus d’agir quand l’action peut être simple et immédiate, la confusion des avis jusqu’à ce qu’il y ait urgence »

Ces mots me paraissent d’une brûlante actualité.

Je ne vous énoncerai pas, cette année encore, les statistiques effrayantes des actes antisémites dans notre pays, les actes graves ou les accusations mesquines de la vie quotidienne.

Je voudrai que nous ayons un regard vers l’avenir,

L’avenir, c’est qu’enfin notre monument dédié à la shoah, projet porté depuis presque 20 ans, se concrétise enfin.

Grâce à une chaîne de bonnes volontés dont la cheville ouvrière est le Procureur Général Jean-Olivier Viout, grâce à des Personnalités de talent, le cahier des charges a été édité, une conférence de presse est prévue dans les prochains jours pour qu’officiellement des datessoient annoncées.

Pour terminer, et puisqu’il en est encore temps, je voudrai vous souhaiter une excellente nouvelle année, une année sans soucis majeurs, une année où les canons se tairont à l’est de l’Europe et où enfin nous pourrons sortir de cette impasse dans laquelle notre Société s’engouffre un peu plus chaque jour.

Vive la République !

Vive la France !