Allocution de Me Serge Klarsfeld, président de l'association des Fils et Filles de déportés juifs de France
Allocution de Me. Serge Klarsfeld, président de l’association des Fils et Filles des déportés juifs de France
Nous sommes sur les lieux où s'est exercée pour la première fois avec éclat la volonté répressive de Klaus Barbie, depuis peu aux commandes de la Gestapo dans le cadre de la région préfectorale de Lyon qui comptait 8 départements.
En cette première opération à Lyon Barbie avait pour cible la résistance des Juifs contre la menace de leur extermination. Ce n'était pas la première fois qu'à Lyon les Juifs étaient la cible de policiers, puisqu’à l'issue de la rafle du 26 août 1942 menée par les forces de police française 544 Juifs étrangers avaient quitté la gare de St. Priest à destination du camp de Drancy victimes de l'antisémitisme prioritairement xénophobe de Laval et de Pétain qui avaient accepté de livrer à Hitler dans un premier temps et sur tout le territoire les Juifs considérés comme apatrides.
Le Cardinal Gerlier, les abbés Chaillet et Glasberg, les Amitiés Chrétiennes, le Général de St Vincent et les militants d'organisations juives avaient non seulement sauvé l'honneur en protestant mais aussi en sauvant la centaine d'enfants rassemblés au camp de Vénissieux ; un sauvetage collectif exceptionnel en France.
L'occupation par les Allemands de la zone libre en novembre 1942 avait désormais confronté directement les Juifs à la Gestapo.
Au début de l'année 1943, la population juive à Lyon était très angoissée, surtout les Juifs qui s'y étaient réfugiés. A qui s'adresser pour se cacher ou pour fuir en Suisse ? D'abord aux organisations juives. " La 5e direction d'Assistance" de l'Union Générale des Juifs de France -Zone Sud avait son siège à Lyon rue Ste Catherine et comprenait 2 sections :
- la première, "assistance aux réfugiés" incorporait le CAR, Comité d'assistance aux réfugiés ;
- la deuxième section, "Assistance aux Immigrés" incorporait la Fédération des Sociétés Juives de France.
Les travailleurs sociaux de ces deux sections étaient des bénévoles comme Simon Badinter ou ne l'étaient pas ; mais tous étaient de véritables militants qui, depuis quelques semaines, fournissaient aux Juifs étrangers et sans ressources de l'argent, des faux papiers, de fausses identités, des filières pour passer clandestinement en Suisse, des adresses où trouver des non-Juifs qui les accueilleraient. Tous pressentaient de nouvelles rafles conduites cette fois par les Allemands. Les deux sections étaient financées par le Joint, valeureuse organisation juive américaine qui contribua efficacement à la survie de nombreux Juifs et, comme l'écrit Barbie : "par les Juifs de France financièrement à l'aise".
Les rapports par Barbie de la rafle tiennent en 4 documents qu'il a signés et présentent la rafle comme une mesure de répression contre la volonté des Juifs, ceux qui travaillaient rue Ste Catherine et ceux qui venaient rue Ste Catherine, d'échapper à l'emprise allemande. Dans son dernier rapport, Barbie n'écrit pas que les Juifs ont été arrêtés en tant que Juifs mais je le cite "les arrestations ont été exécutées en raison de la possession de fausses pièces d'identité et en raison de la préparation de passage illégal de la frontière". Si des non-Juifs avaient été présents parmi les employés, ils auraient très probablement été envoyés au camp de Compiègne pour actes de résistance.
La résistance juive armée était active en France et surtout à Paris et à Lyon ; existait également une autre forme de résistance juive, celle de sauver le plus possible de vies juives; ce qui exigeait de la part de la population juive une volonté de survivre dans l'illégalité et de la part des militants des organisations juives une volonté d'aider leurs coreligionnaires au prix souvent de leur propre vie.
C'était il y a 80 ans; mais ce qui s'est passé depuis 80 ans dans la vie des Juifs montre bien que tous les actes de résistance juive pendant la guerre menée par Hitler contre les Juifs ont toujours été une inspiration pour les Juifs mais aussi pour ceux qui ne le sont pas. Sinon nous ne serions aujourd'hui que des Juifs dans la rue Ste Catherine; mais la République, la Ville de Lyon et les Lyonnais sans distinction participent aussi à cette cérémonie depuis des décennies et restent solidaires des Juifs qui y furent arrêtés en tentant de résister à la Solution finale.
Allocution de Me Richard Zelmati, président du CRIF Auvergne-Rhône-Alpes
Allocution de Me Richard Zelmati, président du CRIF Auvergne-Rhône-Alpes
Il y a 80 ans, ici-même, le 9 février 1943, au numéro 12 de la rue Sainte-Catherine, au 2e étage, dans les locaux alors occupés par l’UGIF, l’Union générale des Israélites de France, la Gestapo commettait un crime, un crime contre l’humanité, le crime des crimes !
Ce 9 février 1943, à l’issue d’une interminable souricière commencée en début de matinée et achevée en fin d’après- midi, le piège se refermait sur les 93 juifs, alors présents dans les bureaux de UGIF.
84 personnes furent conduites au Fort Lamothe (l’ancienne caserne Sergent Blandan), puis internées au camp de Drancy, avant d’être déportées entre le 13 février 1943 et le 23 juin 1944, par 10 convois, qui les ont conduits vers l’extermination à Auschwitz-Birkenau, à Sobibor ou à Bergen-Belsen, vers tous ces « terminus » où, pour reprendre les mots d’André Malraux, là où : « Les nazis s’employèrent à faire concurrence à l’enfer ».
Seuls 4 d’entre eux revinrent de cet enfer... mais détruits...
Ainsi, survécurent : Benno Breslermann, Gilberte Jacob, Armand Stienberg et Rachmil Szullklaper.
Siegfried Driller et David Luxembourg avaient pu miraculeusement s’échapper du Fort Lamothe, avant leur transfert à Drancy.
Heureusement, 7 personnes parvinrent à être relâchées, en mystifiant leurs bourreaux avec des faux papiers ou de fausses histoires, subitement dictées par les circonstances et l’instinct de survie.
Un jeune adolescent à peine âgé de 15 ans, missionné par sa mère, inquiète de ne pas voir revenir son mari à l’heure accoutumée, réussit à échapper de très peu au piège mortel tendu par les hommes de Klaus Barbie.
Ce garçon se nomme Robert Badinter.
Il ne reverra jamais son père, Simon, bénévole de l’UGIF.
Ces 84 victimes, dont la plus jeune avait 13 ans et la plus âgée 72 ans, trop longtemps réduites à l’état de statistiques, de recensements sommaires, de numéros d’écrous ou de convois, nous les connaissons désormais.
C’est grâce au remarquable et opiniâtre travail d’historien de Serge KLARSFELD que ces malheureuses victimes ont pu sortir de l’oubli.
Serge Klarsfeld, auquel nous devons tant, leur a donné une identité. Elle est désormais gravée, dans la pierre, sur cette plaque.
De même que les travaux minutieux de Serge nous ont instruits sur les itinéraires de souffrance et sur les funestes destinations des victimes de la rafle de l’UGIF.
Surtout, nous mesurons mieux, combien en ces sombres et tragiques circonstances, notre Ville de Lyon était une « ville refuge », l’Arche des Juifs d’Europe : ceux qui ont été raflés ici étaient français par leur naissance ou par leur naturalisation, ils étaient aussi polonais, roumains, allemands, autrichiens, tchèques, lettons, russes ou apatrides.
Ils étaient tous des exilés :
- Exilés de l’intérieur pour les premiers, par les lois antisémites de Vichy,
- Exilés de toute l’Europe, fuyant l’avancée de l’hitlérisme.
Ils étaient l’Humanité, tous condamnés par les nazis pour le simple fait d’être venus au monde !
Sachez, surtout, qu’au deuxième étage du numéro 12 de la rue Sainte-Catherine battait alors le cœur d’une fraternité, et d’une solidarité exemplaires.
Ce sombre mardi du mois de février 1943, jour de distribution de secours et de visites-médicales, les permanents et bénévoles de l’UGIF dispensaient tant leurs soutiens que leurs soins aux réfugiés qui se présentaient dans les locaux de l’UGIF, arrivant alors massivement dans la cité des Gaules.
Ces permanents et bénévoles étaient là pour aider, pour nourrir, soigner, loger, réconforter et organiser les filières de survie, notamment vers des campagnes hospitalières, et également vers la Suisse, lorsqu’elle ne fermait pas ses frontières...
Le sinistre récit de cette rafle nous a méticuleusement été restitué par les survivants, les échappés ou les rescapés, lors du procès de Klaus BarbieE qui s’est ouvert en notre Ville au mois de mai 1987.
De même que mon Confrère (et ami) Alain Jakubowicz, j’étais alors avocat des parties civiles aux côtés de Serge Klarsfeld :
- Je n’oublie pas le regard éperdu de Léa Katz, dont le destin a voulu qu’elle s’extirpe par miracle de cette souricière.
- Je n’oublie pas la voix fluette d’Eva Gottlieb, qui travaillait avec sa mère à l’UGIF, racontant le stratagème par lequel elle échappa à la mort, sans pouvoir sauver sa mère Rella, laquelle resta, comme Simon Badinter, du mauvais côté de la porte.
- Je n’oublie pas le témoignage douloureusement limpide de Gilberte Levy-Jacob, assistante sociale à l’UGIF, rescapée d’Auschwitz et de la marche de la mort, relatant lors du procès ce qui fut pour elle, le dernier jour, du reste de sa vie.
- Je n’oublie pas enfin l’implacable récit de Victor Sulklaper, sauvé par ses faux papiers, chance qui n’a pas souri à son père Rachmil, auquel les hommes de Barbie, excédés par les identités maquillées qu’ils découvraient au fur et à mesure, lâchèrent : « Pourri de pays, on ne reconnaît pas un juif d’un non- juif ».
Le 4 juillet 1987, au milieu de la nuit, Justice étaient rendue aux victimes de la rafle de la rue Sainte-Catherine, comme à celles de la maison d’Izieu et à celles du convoi du 11 août 1944.
L’auteur principal de ces crimes contre l’humanité, le lieutenant SS Klaus Barbie, étaient condamné, « au nom du peuple français », par la Cour d’assises du Rhône, à la réclusion criminelle à perpétuité.
L’œuvre de justice est passée, j’ose le dire, in extremis...
Aujourd’hui, 80 années après, nous avons tous l’incontournable devoir de poursuivre l’œuvre de justice en la prolongeant par une œuvre de mémoire, une œuvre de transmission, une œuvre républicaine, de lutte, sans relâche contre l’antisémitisme.
L’historienne Annette Wiewiorka définit la mémoire comme le fait « qu’une collectivité se souvienne de son passé et cherche à lui donner une explication au présent, à lui donner un sens. »
Ainsi, commémorer les vies juives brisées ici-même, c’est rappeler que tout dans l’âme de notre cité et de notre pays doit rejeter le mensonge antisémite, systématiquement précédé de son cortège de préjugés, d’amalgames, de complotisme, de négationnisme, de révisionnisme, d’injures, d’agressions et, hélas, de crimes qui, encore aujourd’hui, défigurent notre pays dans une mécanique immuable où l’ensauvagement des mots précède et prépare toujours l’ensauvagement des actes.
Commémorer, c’est rappeler au Premier des lyonnais qu’il lui revient l’impérieuse obligation morale de mener, comme tous ses prédécesseurs avant lui, et ponctuellement Justin Godart, Juste parmi les nations, le combat essentiel pour les valeurs de la République, gravées au fronton de notre maison commune.
Notre ville ne doit rien céder, d’aucune manière, d’aucune sorte, d’aucune ambiguïté, aux sirènes de la division et de la discorde, ce, d’où qu’elles viennent et qui affaiblissent la fraternité autant que la lutte contre l’antisémitisme.
Non, décidément non !
On ne peut pas prétendre combattre et cautionner en même temps.
Commémorer, c’est également rappeler, sans désemparer à notre jeunesse les « mots sans sépulture », inaltérables de notre regretté Benjamin Orenstein, survivant de 7 camps où les nazis ont voulu le rayer de la surface de la Terre.
Commémorer, c’est se souvenir de la parole d’Ida Natan, dénoncée par sa voisine, déportée à 23 ans, dernière survivante du convoi du 11 août 1944
Commémorer, c’est entendre l’inlassable récit de notre cher Claude Bloch, rescapé d’Auschwitz, arrêté à 15 ans par la milice de Touvier et dont le courage de témoigner, encore à 94 ans, auprès de nos collégiens et lycéens, force le respect et l’admiration.
Commémorer, c’est affirmer que les victimes de la rue Sainte- Catherine, que Benjamin Orenstein, qu’Ida Natan, que Claude Bloch ont tous été victimes d’une même haine et la nommer : c’est l’antisémitisme, « cette lèpre de l’humanité ».
Et, si commémorer doit avoir une signification sur les lieux du crime où nous nous trouvons aujourd’hui, c’est pour dire que la Ville de Lyon, rassemblée par son
passé, flétrie par cette histoire baignée dans le sang et dans les larmes, ne cédera jamais à la tentation de la banalisation de la Shoah à la faveur des comparaisons inacceptables qui défient la raison.
C’est surtout marteler que les mots ont un sens et qu’on ne peut pas impunément, au prix d’un double manquement à la mémoire des six millions de morts dont 1 million 500 mille enfants, assassinés, et à la vérité des faits, convoquer le mot « déportation », au service d’un confusionnisme insultant et d’une relativisation bien connue de ceux qui professent l’antisémitisme, sous les oripeaux de l’antisionisme.
Commémorer enfin, c’est rappeler que les victimes de la rue Sainte-Catherine étaient condamnées de naissance, sans autre forme d’incrimination que celle d’avoir, pour reprendre les mots d’André Frossard, commis le « crime d’être nés ».
La spécificité du crime commis dans cette petite rue du quartier de Terreaux appartient à l’histoire universelle, comme l’est et doit le rester, la prison Montluc, conformément à la volonté des rescapés et comme le sera demain, le mémorial de la Shoah de LYON, au pied de la gare Perrache, d’où partirent les trains vers la mort.
Nous sommes les dépositaires, non seulement d’une mémoire, mais aussi d’une promesse.
Du haut de ces deux étages, 84 âmes nous contemplent et nous disent, le doigt pointé vers nous, que de nos pleurs et notre chagrin doit surgir l’averse féconde qui fait germer l’humanité.
Le crime qui s’est passé ici, nous afflige autant qu’il nous oblige à la conscience et à la lucidité devant ceux qui veulent, encore et toujours, la destruction des juifs.
Souvenons-nous qu’un peuple qui perd son histoire est comme un homme qui perd sa mémoire : - l’un ne se reconnaît plus dans son miroir, - l’autre à honte de s’y regarder.
Je vous remercie.