Nous vous faisons part, avec une profonde tristesse, du décès de Claude Bloch, dernier rescapé lyonnais de la Shoah, président d’honneur de notre association, décédé subitement le 31 décembre 2023, dans sa quatre-vingt-seizième année.
Un authentique passeur de mémoire s’en est allé.
Il y a quelques mois, Claude Bloch nous avait fait part de son témoignage.
Je suis né le 1er novembre 1928 à Lyon. J'ai eu deux frères, l'un, né en 1927, qui n'a pas vécu, l'autre, né en 1931, décédé en 1933.
Mon père est né en 1894 et est décédé en 1938. Ma mère est née en 1904 et elle est décédée en déportation, en 1944.
Côté paternel, mon grand-père est décédé avant ma naissance et ma grand-mère est décédée en 1939.
Ma tante et mon oncle ont été déportés à Tours en 1943 et sont décédés en déportation.
Côté maternel, mon grand-père est né en 1874 et est décédé à Lyon, dans les locaux de la Gestapo en 1944, au cours d'un interrogatoire. Ma grand-mère a échappé à l'arrestation.
Elle était née en 1878 et est décédée en 1949.
Mon histoire :
J'avais 15 ans, c'était le 29 juin 1944. J'étais élève, en première année à la Martinière. Depuis février 1944, nous avions quitté notre appartement du quartier de Perrache et étions allés nous réfugier, ma mère et moi, chez mes grands-parents maternels à Crépieu La Pape.
Ce 29 juin, je suis en vacances depuis peu de jours. Ma mère est en congé maladie, mon grand-père qui ne quitte pratiquement jamais la maison, est dans sa chambre où il passe la plupart de son temps. Ma grand-mère est absente car elle est partie le matin, à Lyon, pour un rendez-vous chez le dentiste.
A 11h45, deux hommes se présentent au rez-de-chaussée de la maison et après avoir demandé le propriétaire, montent au premier étage et nous ordonnent de préparer une valise en nous informant qu'ils nous arrêtent (je reconnaitrai après-guerre sur photo parue dans la presse, que l'un d'eux était Paul Touvier, chef de la milice à Lyon et qui avait assisté le matin même, devant le mur du cimetière de Rillieux la Pape, commune voisine de celle où nous étions, à l'exécution de 7 juifs qu'il avait désignés en représailles de l'assassinat la veille de Philippe Henriot, ministre de l'information de Vichy, par des résistants).
Ma mère me demande de me changer. Alors que je m'apprête à mettre un pantalon court, elle me dit : « Non, mets ton pantalon long », ce que je fais sans demander d'explications.
Arrivés au siège de la Gestapo, place Bellecour, on nous fait descendre dans la cave de l'immeuble et asseoir sur des chaises (il y a déjà des personnes dans cette cave).
Au bout d'un moment, un homme vient chercher mon grand-père et ma mère pour un interrogatoire. Environ une demi-heure plus tard ma mère revient seule, en pleurs et me glisse dans l'oreille : « Ils ont tué ton grand-père ». J'ignore ce qu'ils ont fait de son corps.
Le soir, nous sommes transférés à la prison de Montluc et après une nuit à sept ou huit, dans une cellule, je suis mis dans la « baraque aux juifs ».
Par deux fois, lors de mon séjour dans cette baraque, de bonne heure le matin, un soldat allemand a égrené une liste de noms de détenus qui s'est terminée par la mention ‘’sans bagage’’, ce qui signifiait que les hommes appelés seraient fusillés dans la journée.
Le 20 juillet, troisième liste : je fais partie de cette liste et je dois attendre la fin de cette liste (ce qui me paraît interminable) pour entendre ‘’avec bagages’’ ce qui signifie un transfert « ailleurs ». Dans la cour où nous l’on nous réunit, je retrouve ma mère appelée également dans sa cellule.
Nous sommes conduits dans un train stationné en gare de Perrache.
Le 22 juillet, nous arrivons au camp de Drancy, dans la banlieue parisienne, et sommes mis, ma mère et moi, dans le même bâtiment. Pendant notre séjour à Drancy, des bus sont arrivés avec des enfants (les plus jeunes devaient avoir 2 ans-2ans et demi) seuls, sans adulte. Ils provenaient de maisons ouvertes pour eux à Paris.
Au tout début des rafles de juifs à Paris, les nazis n'emmenaient pour une destination inconnue, que les adultes (à partir de 15 ans) jusqu'au jour, vers juin 1942, où René Bousquet, chef de la police de Vichy, leur a demandé d'emmener toute la famille ne sachant plus où mettre les enfants, ce qui fut fait. Les 300 enfants qui étaient dans ces maisons, ont donc été amenés à Drancy, fin juillet 1944.
Le 31 juillet, nous sommes rassemblés, 1000 adultes et ces 300 enfants, puis emmenés à la gare de Bobigny où nous attend un train de wagons à bestiaux. Embarqués 80 à 90 par wagon (je suis toujours avec ma mère), sans nourriture ni eau, nous voyageons les 31 juillet, 1er et 2 août.
Le 3 août, vers 3h du matin, le train s'arrête. Nous entendons alors à l'extérieur, des cris et aboiements de chiens. Nous sommes en Pologne, au camp de Birkenau. La porte du wagon s'ouvre. Nous descendons, les femmes et les enfants d'un côté, les hommes de l'autre. J'ai 15 ans, je ne suis pas grand, plutôt fluet (45 kg). Je vais du côté de ma mère qui me repousse assez violemment du côté des hommes. Je la perds immédiatement de vue et ne l'ai jamais revue. Je ne sais toujours pas pourquoi, après m'avoir dit de mettre un pantalon long au moment de notre arrestation, elle me repousse du côté des hommes.
J’ai bientôt compris que si j'étais arrivé en pantalon court, j’aurais été considéré comme un enfant et désigné pour la chambre à gaz. Pareillement si j’étais resté avec elle. Elle m'a ainsi sauvé deux fois la vie.
Sélection à l'arrivée : jugés aptes au travail d'un côté, les inaptes de l'autre. Je me retrouve dans les aptes au travail. Nous parcourons à pied les trois kilomètres qui nous séparent du camp d’Auschwitz. Déshabillage, tonte de la tête aux pieds, tatouage sur l'avant-bras gauche (B3692), remise d’une veste, d’un pantalon et d’une paire de souliers.
La survie à Auschwitz : appels matin et soir (souvent interminables le soir), travail de terrassement épuisant (c'était le but).
Le matin, nous avons droit à une cuvette de café pour 6, à midi une cuvette de bouillon pour 4, le soir après l'appel, un cube de pain noir (environ 200g) avec une rondelle tantôt de margarine, tantôt de boudin.
Le dimanche, pas de travail. Nous marchons toute la journée dans les allées du camp (interdiction d'entrer dans un bâtiment).
Les nouvelles arrivent sans que l'on sache comment. Nous avons ainsi su qu'un ordre était arrivé de Berlin d'arrêter les chambres à gaz dans tous les camps d'extermination et de les détruire lorsque les soviétiques approcheraient.
A ce propos, on a appris que les déportés du sonder commando de la chambre à gaz n° 4 à Birkenau l'avaient faite exploser, le 7 octobre 1944.
Une fois, après un dimanche sans travail, on n'a pas travaillé le lendemain. On s'est alors posé des questions. On a su 2 ou 3 jours après, que ce jour était le 25 décembre 1944, fête par excellence des enfants qui étaient gazés à l'arrivée à Birkenau !
Quelques jours après, je suis transféré au camp du Stutthof (Pologne), en train, sur des wagons à plateau, par une température de -25 à - 30°.
Fin avril, début mai 1945, nous sommes embarqués à fond de cale de péniches et arrivons en rade d'un port (qui s'avèrera être Flensburg). Nous sommes transférés sur un des cargos ancrés à cet endroit. Trois jours plus tard, les SS qui nous gardaient disparaissent au cours de la nuit. Des membres de la Croix Rouge suédoise viennent nous recueillir.
Nous sommes le 10 Mai 1945, le surlendemain de la capitulation sans condition de l'Allemagne.
Après deux mois passés en Suède où je suis soigné, le 14 juillet, nous sommes emmenés au port de Göteborg où nous retrouvons d'autres rescapés puis embarqués sur un paquebot à destination de la France.
Le 20 juillet, nous débarquons à Cherbourg et, deux jours plus tard, suis de retour à Lyon. Je retrouve la seule personne qui reste de ma famille : ma grand-mère qui, grâce à son rendez-vous chez son dentiste, a échappé à notre arrestation..
A mon retour de déportation en 1945, j'ai repris mes études, j'ai commencé à travailler comme comptable, le 1° septembre 1948.
Au décès de ma grand-mère, en 1949, je me suis retrouvé seul, à 21 ans.
Je me suis marié en 1950. J'ai trois fils, nés en 1952, 1954 et 1956 et neuf petits-fils.
Je fais partie des 2500 rescapés français des camps d’extermination, soit 3% des 76000 déportés.
Je suis en retraite depuis le 1er avril 1989. J’emploie celle-ci à témoigner auprès des jeunes, pour qu’ils sachent et tirent la leçon de ce génocide ».
Claude Bloch